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LE PLAGIAT ET L'AUTOPLAGIAT À L'ÈRE DU POSTPLAGIAT


À l’ère du postplagiat, concept proposé par Sarah Eaton (2023), la réflexion sur l’intégrité académique se transforme profondément. Le plagiat et l’auto‑plagiat ne sont plus seulement des infractions individuelles, mais des symptômes d’un système académique soumis à des pressions croissantes : multiplication des publications, évaluation quantitative de la performance, et usage massif des technologies numériques et de l’intelligence artificielle. Le postplagiat désigne ainsi un contexte où les frontières entre originalité et réutilisation deviennent poreuses, obligeant les institutions à repenser leurs mécanismes de prévention et de sanction.


Dans ce cadre, les enjeux sont multiples. Le plagiat classique – appropriation de textes ou d’idées sans attribution – reste une faute grave, mais l’auto‑plagiat soulève des questions plus complexes. Réutiliser ses propres travaux sans signalement peut être perçu comme une stratégie de survie dans un système qui valorise la productivité, mais cela mine la crédibilité scientifique et brouille la distinction entre innovation et répétition. Le postplagiat invite donc à dépasser une vision punitive pour interroger les logiques structurelles qui favorisent ces pratiques.


La contribution de Sarah Eaton est significative : elle a permis d’introduire ce cadre conceptuel dans le débat canadien et de sensibiliser les institutions à la nécessité d’une approche systémique. Toutefois, son activité s’est concentrée principalement sur le monde étudiant, à travers des formations, des guides et des politiques pédagogiques. Les étudiants sont ainsi placés au cœur des dispositifs de prévention et de sanction, tandis que le corps professoral et les éditeurs restent moins exposés. Cette asymétrie soulève un problème moral et éthique : pourquoi l’intégrité académique est‑elle traitée comme une exigence prioritaire pour les étudiants, mais abordée avec plus de discrétion lorsqu’il s’agit des chercheurs et des professeurs ?


Dans l’espace canadien francophone, notamment au Québec, cette orientation se traduit par une forte insistance sur la prévention pédagogique. Les universités francophones mettent en avant des codes de conduite et des formations destinées aux étudiants, mais les cas d’inconduite professorale sont rarement discutés publiquement. La culture institutionnelle privilégie la protection de la réputation et la cohésion interne, ce qui contribue à invisibiliser les fautes dans la production savante.


Dans l’espace anglophone, les débats sont davantage connectés aux standards internationaux. Les universités anglophones adoptent des politiques plus explicites sur le plagiat et l’auto‑plagiat, incluant des mécanismes de détection et des procédures disciplinaires. Le concept de postplagiat y trouve un écho plus direct, car il s’inscrit dans une réflexion globale sur les transformations technologiques et les pressions de publication. Eaton y a joué un rôle de catalyseur, en favorisant une prise de conscience institutionnelle et en ouvrant le débat sur la responsabilité partagée.


En définitive, l’ère du postplagiat met en lumière une tension fondamentale : la gestion du plagiat et de l’auto‑plagiat ne peut se limiter aux étudiants, mais doit inclure le corps académique dans son ensemble. La focalisation sur les étudiants, telle qu’elle est portée par une partie des initiatives canadiennes, crée une asymétrie qui fragilise la crédibilité du système. Le défi moral et éthique est donc de reconnaître que l’intégrité académique est une valeur universelle, qui doit s’appliquer avec la même rigueur aux étudiants, aux professeurs et aux éditeurs. Le postplagiat n’est pas seulement une nouvelle ère : il est un appel à repenser la responsabilité collective dans la production et la transmission du savoir. (M. A.).


Note:  Pour  mieux comprendre le concept de  postplagiat, voir Eaton, S. E. (2023). Postplagiarism: transdisciplinary ethics and integrity in the age of artificial intelligence and neurotechnology. Int J Educ Integr, 19, 23. https://doi.org/10.1007/s40979-023-00144-1